Cet article est d’abord paru dans le magazine Pacific Ports (juillet 2024).
Les défis ne manquent pas pour les ports et les industries maritimes de nos jours, qu’il s’agisse du renouvellement des infrastructures, de l’intégration des chaînes d’approvisionnement, des impératifs du développement durable ou de la relation avec les parties prenantes. Au cœur de l’action, le capitaine Jamie Marshall et Darcey Hormann, qui aident le secteur à réaliser d’ambitieux projets grâce à leur travail chez Colliers Maîtres de projets, une entreprise canadienne qui compte plus de 30 ans d’expérience dans la planification et la réalisation de projets d’infrastructure complexes et de grande envergure.
Pacific Ports: Si vous deviez résumer en un mot la situation de l’industrie portuaire et des industries maritimes aujourd’hui, quel serait ce mot?
Capitaine Jamie Marshall (chef de secteur national, Activités maritimes et portuaires): Je dirais, à n’en pas douter, « transformatrices ». Les organisations tâchent de forger l’avenir tout en composant avec l’instabilité économique, la crise climatique, la consolidation de l’industrie et les avancées technologiques. Elles doivent renforcer leurs capacités, mais, pour y arriver, elles doivent travailler en étroite collaboration avec les communautés autochtones et une palette d’autres acteurs. Le changement est partout.
Darcey Hormann (directeur des Infrastructures – Ouest du Canada): Je suis d’accord et j’ajouterais « complexes ». Les projets en cours sont de taille et ils impliquent des douzaines d’acteurs; il faut des années, parfois plus d’une décennie, avant de franchir le fil d’arrivée. Et nous sommes là du début à la fin pour accompagner nos clients. Parfois, il ne s’agit pas que d’un seul projet, mais d’un programme complet de transformation. En Ontario, par exemple, nous participons à une mission de prévention des inondations qui comporte des travaux d’infrastructure : en tout, ce sont 21 sous-projets qui sont menés sous la même bannière. Au fil de ces projets et d’autres, nous voyons que l’industrie est en train de s’écologiser. Ce processus-là, dans lequel on cherche à délaisser progressivement les carburants fossiles et à les remplacer par des solutions plus durables, ajoute un autre niveau de complexité.
PP: Qu’est-ce qui fait la complexité du secteur?
DH: D’abord, ce sont ses nombreuses dimensions. Il y a la mobilisation des communautés autochtones et des parties prenantes, l’expédition et la logistique outre-mer, les bateaux-bus, la navigation de plaisance, les infrastructures extracôtières, la production d’électricité, et j’en passe. Chaque élément est différent. Les défis et les exigences varient d’un projet à l’autre, et chacun est vraiment unique.
CJM: Et puis rien de tout ça n’existe en vase clos. Par exemple, les ports sont reliés aux réseaux routiers et ferroviaires. Si vous voulez augmenter la capacité d’un port, il faut aussi renforcer les infrastructures pour les trains et les camions, sinon vous allez créer un goulot d’étranglement. Un autre exemple, c’est le pilotage. Pour accueillir plus de navires, il faut prévoir assez de pilotes pour les guider jusqu’à l’intérieur du port. Tous ces systèmes sont imbriqués les uns dans les autres et doivent fonctionner en harmonie, alors ce sont des projets qui exigent d’adopter une perspective très large. Les éléments à considérer ne sont pas limités à la logistique du projet, non plus : il faut tenir compte de l’environnement naturel, impliquer les bonnes communautés autochtones et, au besoin, consentir à des changements opérationnels pour protéger des espèces à risque.
Les projets en cours sont de taille et ils impliquent des douzaines d’acteurs; il faut des années avant de franchir le fil d’arrivée. Parfois, il ne s’agit pas que d’un seul projet, mais d’un programme complet de transformation.
PP: Comment arrive-t-on à gérer simultanément tous ces éléments mouvants?
DH : D’abord, il faut bien comprendre l’écosystème et ses interdépendances, et il faut définir les objectifs stratégiques. Quelles industries ou professions vont être touchées par un projet donné? Quels paliers de gouvernement, quels organismes publics devraient être impliqués ou pourraient même aider à financer le projet? Quelles sont les caractéristiques de la collectivité où il doit avoir lieu et comment allez-vous faire en sorte que la population puisse faire entendre son point de vue? Nous utilisons une gamme d’outils, notamment des séances d’information et de mobilisation des parties prenantes pour cerner les risques qui pourraient autrement échapper à l’équipe responsable. Nous cartographions les dépendances au moyen de registres des risques et d’ateliers, puis nous formulons des stratégies d’atténuation ou de transfert des risques.
CJM: Vous devez connaître vos voisins et cultiver votre relation avec eux avant de commencer à parler du projet. C’est particulièrement important quand vous travaillez avec les communautés autochtones. Il faut du temps pour bâtir la confiance. Vous ne pouvez pas arriver avec et dire de but en blanc : « Voici ce que nous voulons construire. Collaborons. »
PP: Est-ce qu’il y a d’autres groupes qu’il faudrait veiller à inclure plus souvent?
CJM : Il est important d’inclure les associations écologiques. Le Denmark et Singapore sont deux États qui illustrent bien comment les règlements peuvent devenir une force motrice pour les lois habilitantes et promouvoir la croissance et le développement économiques. Le Canada avance dans cette direction-là. Les choses s’améliorent continuellement.
PP: Quels genres de projets sont les plus fréquents de nos jours?
DH: Les ports travaillent à agrandir leurs installations pour augmenter leur capacité, par exemple pour permettre une plus grande circulation terre-mer, accommoder des portiques sur rail ou entreposer un plus grand nombre de conteneurs. De fait, nous venons tout juste de commencer à travailler à un nouveau projet de terminal pour conteneurs dans l’est du Canada. On se soucie beaucoup d’optimisation, afin d’arriver à traiter plus vite un plus gros volume de cargaisons. Les entreprises investissent dans la numérisation, dans l’optique d’automatiser et intégrer de bout en bout les chaînes d’approvisionnement avec suivi par GPS et des capteurs faisant appel à la technologie de l’Internet des objets. Plus de papier; tout sera connecté.
CJM: La sécurité environnementale et la durabilité sont aussi devenues des enjeux clés. Ils ont été au cœur d’une série de projets que nous avons réalisés touchant des ports et des quais sur la côte est du Canada. Nous offrons des services complets de gestion de projets pour plus d’une trentaine d’initiatives en cours. Cela comprend du dragage, la reconstruction de quais, l’installation de palplanches, la gestion d’opérations de nettoyage et d’autres travaux qui préparent la voie à de nouveaux investissements et vont permettre la croissance.
PP: Pouvez-vous donner d’autres exemples qui illustrent comment l’enjeu de la durabilité écologique influe sur les projets que vous supervisez en ce moment?
CJM: Elle amène toutes sortes d’innovations.Le défi, c’est de faire autant que possible des choix qui vont résister à l’obsolescence. À l’époque où je travaillais dans l’industrie des traversiers, nous avons fait la transition du diésel au gaz naturel liquide : c’était un premier pas pour réduire notre empreinte carbone. Aujourd’hui, l’hydrogène et l’électricité sont commercialement viables. Mais, même avec les batteries, il y a des questions qui demeurent : Combien de temps nos réserves de lithium vont-elles durer? D’où viendra l’énergie qu’il nous faut? Bref, il faut s’assurer que ce qu’on choisit sera viable à long terme.
DH: Les objectifs commerciaux et économiques vont main dans la main avec la durabilité écologique. Si vous êtes efficient et efficace, vous pouvez plus facilement répondre à l’augmentation de la demande tout en ayant un impact moindre sur l’environnement maritime et les autres habitats. La résilience climatique prend de plus en plus d’importance. Cela, parce que les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient. Les activités portuaires en subissent les conséquences et il devient donc nécessaire d’avoir des infrastructures plus résilientes.
Les ports augmentent leur empreinte physique afin de pouvoir accroître leur capacité. On se soucie beaucoup d’optimisation afin d’arriver à traiter plus vite un plus gros volume de cargaisons. Et les entreprises investissent dans la numérisation.
PP: Étant donnée l’ampleur des projets aujourd’hui, où les organisations ont-elles particulièrement besoin de soutien?
DH: Les relations avec les parties prenantes sont un aspect où elles ont besoin de plus de soutien de nos jours : tisser des liens, trouver un terrain d’entente et assurer l’harmonisation des efforts parmi les partenaires. Un autre aspect, c’est la planification des projets, pour bien comprendre les besoins implicites et explicites des participants pour l’ensemble des éléments d’un projet, y compris la sélection du modèle de réalisation des travaux, qui comportent souvent plusieurs phases et s’échelonnent sur plusieurs années. Il faut veiller à ce que les jalons établis soient réalistes et tout coordonner, des éléments techniques aux permis, sans oublier l’approvisionnement et la construction.
Le personnel des ports connaît les ports; les expéditeurs s’y connaissent en expédition. Ils ont besoin d’un partenaire qui a une vue d’ensemble, qui comprend comment tout ça s’emboîte et qui va pouvoir les représenter au fil du projet.
PP: Êtes-vous optimistes quant à l’avenir des ports et de l’industrie maritime?
CJM: Absolument. Il y a un grand dynamisme et un fort sentiment d’urgence derrière ce qu’on entreprend en ce moment dans le secteur. Les gouvernements investissent parce qu’ils savent à quel point il est important d’avoir des infrastructures portuaires, maritimes et ferroviaires qui sont efficaces et concurrentielles. On veut faire en sorte que les ressources naturelles du Canada puissent alimenter l’économie mondiale – aussi bien par la voie des airs, terrestre que maritime – et contribuer à l’écologisation des industries pour créer un avenir plus durable.
DH: Et il y a aussi de nouvelles priorités qui émergent, par exemple l’Arctique, où le transport des marchandises va connaître un boum dans les décennies à venir. On en voit les premiers signes au Canada. Par exemple, nous avons fourni des services de gestion de projet et une expertise technique pour les premiers stades de la construction d’un port dans le Nord canadien.
CJM: Les ports et l’industrie maritime existent depuis longtemps, mais on a l’impression d’entrer dans une nouvelle ère.