Le contrat-alliance est fondée sur l’adage « tous pour un et un pour tous », ce qui atténue les risques liés aux projets pluriannuels de grande envergure.
Le risque est une composante inévitable de tout projet d’envergure, qu’il s’agisse d’une infrastructure ou d’un aménagement urbain, d’un système de transport ou d’un établissement de soins de santé. Les enjeux sont importants. Les coûts, l’échelle et la complexité sont importants. Les délais sont souvent plus longs que prévu et les talents dont on a besoin sont très sollicités, il est donc difficile de les trouver.
Toutes ces réalités existaient bien avant que la COVID-19 ne bouleverse les chaînes d’approvisionnement mondiales. Non seulement la pandémie a-t-elle causé des effets qui persistent, mais ces derniers se sont également aggravés en raison d’un climat économique et géopolitique qui nous laisse une seule certitude : l’incertitude. Les risques associés aux projets sont plus élevés que jamais, et cela n’est pas près de changer.
Relever le défi du risque
Chaque modèle de projet est associé à des méthodes bien précises pour tenter d’atténuer les risques. L’approche conception-construction, par exemple, fait peser la charge du risque sur l’entrepreneur. Le risque est donc centré sur une seule partie. En vertu d’un partenariat public-privé (PPP), l’évaluation des risques est intégrée au processus et le contrat est souvent axé sur les performances, ce qui incite à une livraison conforme à la planification. Tous les modèles de livraison traditionnels « vendent » le risque en aval. Il est géré en silo, laissant à chaque partie le soin de se protéger individuellement.
Chacun de ces modèles comporte ses avantages et ses inconvénients. Les modèles de prestation plus traditionnels comportent un grand inconvénient : ils peuvent donner lieu à des relations plus conflictuelles entre les parties chargées de la prestation. La possibilité d’un différend, d’une réclamation ou d’un litige est ce qui préoccupe le plus chaque partie, car cela entraînerait des coûts exorbitants, aussi bien sur le plan financier que de l’investissement de temps.
Les contrats traditionnels comportent des modalités et des spécifications bien précises. Les détails sont fixés pour chacune des parties concernées. Cependant, plus le projet est important, long et complexe, plus il est difficile de prévoir les variables et de gérer les relations entre les différents champs d’application. À cette dynamique s’ajoute l’incertitude liée à la chaîne d’approvisionnement et à la main-d’œuvre artisanale. Par conséquent, il arrive que les ordres de modification se multiplient, ce qui est monnaie courante à l’heure actuelle. Il est notoire qu’un seul contrat peut faire l’objet de centaines d’ordres de modification, ce qui érode la certitude du maître d’ouvrage quant aux coûts de son projet.
Les maîtres d’ouvrage peuvent être contraints de s’en tenir à des paramètres stricts qui sont souvent irréalistes, décalés par rapport au flux d’information et aux processus de prise de décision. Pour gérer ces conditions et se prémunir contre les dépassements de coûts et les pénalités d’exécution, les participants prévoient des marges de manœuvre appropriées dans leurs budgets, ce qui peut encore gonfler les coûts du projet pour les maîtres d’ouvrage.
Les responsables de certains projets s’étant heurtés à ce type de défis, la demande de solutions de rechange est en hausse. Les modèles de contrats collaboratifs sont justement conçus pour que les risques et l’exécution globale d’un projet soient gérés conjointement et collectivement.
Le terme « contrat de collaboration » est souvent employé pour indiquer que le contrat lui-même a été adapté à une structure plus relationnelle que transactionnelle. Il suppose une période de préplanification avec toutes les parties prenantes importantes, des clauses de non-défaut et une certaine forme de structure de gestion conjointe qui crée une responsabilité collective pour l’ensemble de la réalisation du projet. Les modèles les plus connus dans cette catégorie sont la réalisation de projet intégrée (RPI) et l’alliance, suivis par l’exécution de certains projets selon le modèle de conception-construction progressive.
Le modèle d’alliance est le type d’approche la plus récente au Canada. Il est particulièrement bien adapté aux projets de grande envergure et de longue haleine. Il a donné des résultats surprenants et a fait ses preuves auprès des maîtres d’ouvrage, ces derniers disposant d’un plus grand nombre d’options pour gérer les risques au mieux.
Qu’est-ce qu’un contrat-alliance?
Le modèle de contrat-alliance a gagné du terrain au Canada, principalement à la suite de la pandémie de COVID-19. Il est apparu au Royaume-Uni dans les années 1990, mais peu de temps après, en Australie, qu’il a été perfectionné pour être adapté aux grands projets à risque élevé.
En vertu du modèle de réalisation par alliance, toutes les parties essentielles à un projet sont liées par un même contrat prévoyant un partage des risques et des bénéfices, une clause de non-défaut et une structure de gestion conjointe. À cet égard, il est similaire au modèle RPI, bien que l’administration des systèmes de gestion conjointe d’un contrat-alliance soit plus solide, que les rôles soient définis de manière plus précise et que les mécanismes de partage des gains et des pertes soient différents.
Au sein de la structure par alliance, les consultants et les entrepreneurs du projet sont appelés « parties non-propriétaires », ou PNP. En vertu de la clause de non-responsabilité, les parties non-propriétaires ne peuvent pas intenter d’action en justice les unes contre les autres, sauf en cas de manquement délibéré. Ainsi, les PNP sont tenues de collaborer et de se concentrer sur la résolution des plus grandes difficultés d’un projet aux côtés du maître d’ouvrage. Pour déterminer la conception, la portée, la méthode et l’approche les plus pertinentes pour obtenir une valeur optimale pour l’objectif fixé, chacun doit donc faire sa part afin d’entretenir un climat non conflictuel.
Les équipes liées par une alliance doivent collaborer pour gérer en amont tous les indicateurs clés de rendement (ICR). De la sorte, il est possible de répondre aux besoins du maître d’ouvrage et les PNP peuvent réaliser les profits prévus. Les pertes et les gains liés aux indicateurs de coût et de non-coût étant partagés, les PNP sont motivées à travailler les unes avec les autres et avec le maître d’ouvrage pour atteindre les résultats escomptés et pour optimiser les budgets et les calendriers. Ce type de collaboration répond à la véritable intention de l’ingénierie de la valeur au sein de la structure du modèle.
Étant donné que l’idée est de « gagner ensemble et perdre ensemble », les parties sont plus enclines à trouver des méthodes de travail plus adaptatives et proactives. Cette approche jette également les bases de l’innovation dans la pratique et la conception, car toutes les parties sont sur la même longueur d’onde et s’investissent pour obtenir les mêmes résultats.
Nouveaux rôles, nouvelles attentes
Il faut noter que, en vertu de la structure de gestion conjointe du projet, le maître d’ouvrage joue un rôle actif au sein d’une équipe liée par un contrat-alliance. Il doit se mobiliser dès le début, au moment du développement (préplanification) du projet. Il doit s’assoir avec les concepteurs et les constructeurs et apporter une réelle contribution de fond pour que les problèmes soient réglés collectivement. Ici, le fossé traditionnel qui séparait le maître d’ouvrage des concepteurs et des constructeurs n’existe plus. Il est présent dès les premières étapes de la planification.
Étant donné que le maître d’ouvrage doit jouer un rôle plus actif, il faut compter sur un changement d’état d’esprit qui, dans de nombreux cas, passe par des changements organisationnels. C’est également vrai pour les membres de l’équipe PNP qui, souvent, doivent obtenir une plus grande adhésion au sein de leur organisation respective, ne serait-ce que pour adopter une approche collaborative.
Le modèle de l’alliance exige en particulier que les maîtres d’ouvrage identifient les rôles, adaptent le leadership interne, redéfinissent les structures de prise de décision et adaptent les politiques de passation de marchés et d’autres processus afin de pouvoir travailler directement avec les PNP pour définir la portée, les budgets et les calendriers. Ces changements sont également nécessaires pour que le maître d’ouvrage puisse explorer les possibilités de conception technique plus avantageuses et plus progressives avec leurs PNP, envisager les autorisations progressives et prendre en compte les exigences correspondantes prévues au contrat-alliance sur le plan légal et des assurances.
Pour les PNP, le modèle de l’alliance exige une ouverture sans précédent. On attend d’eux qu’ils soient totalement transparents quant aux prix, aux coûts, aux hypothèses sur lesquelles reposent le calendrier et les bénéfices, qu’ils rendent des comptes à l’ensemble de l’équipe liée par l’alliance et qu’ils se conforment à la cogérance.
Les PNP doivent également être disposés à participer à des processus intégrés de conception et de planification et accepter de se prêter à une planification simultanée de la construction et de la modélisation des coûts. Il s’agit là d’un changement radical par rapport aux modèles contractuels traditionnels. Au lieu de se concentrer sur la protection de sa rentabilité, chaque PNP doit adopter une perspective « optimale pour le projet », tenir compte des intérêts du maître d’ouvrage et faire en sorte que la structure du modèle tienne compte de la rentabilité.
Parce qu’il suppose de tels changements, le modèle de l’alliance, et d’autres formes de collaboration contractuelle, ont suscité une certaine résistance. Toutefois, à mesure que le marché canadien entend parler d’environnements non antagonistes et de bons résultats obtenus grâce aux contrats de collaboration – y compris les contrats-alliance et les RPI – l’intérêt grandit.
L’intérêt des maîtres d’ouvrage s’explique par le fait que ces modèles contractuels peuvent générer plus de valeur pour moins d’argent, avec moins de risques et une mobilisation accrue des parties prenantes internes. Tandis que le mouvement des contrats de collaboration prend de l’ampleur, l’exploration de cette voie devient un passage obligé pour ceux qui ne veulent pas risquer de passer à côté d’une occasion.
À quoi ressemble une alliance?
Les contrats-alliance comprennent une phase de préplanification appelée « phase de développement ». Il s’agit d’un exercice structuré permettant de valider la portée du projet, les indicateurs de réussite, les attentes en matière de budget et de calendrier, ainsi que la gouvernance du système de gestion.
L’élaboration du budget est appelée « coût réel cible » (Target Outturn Cost), qui consiste essentiellement à se mettre d’accord sur une estimation des coûts du projet – ce qui comprend les coûts directs de construction et de conception, les provisions pour risques, les frais généraux et les marges bénéficiaires escomptées. Pour prévoir le coût réel cible, il faut bien évidemment procéder à un certain degré de travail de conception.
Avec l’accord unanime de toutes les parties, y compris du maître d’ouvrage, la phase de développement se termine par la signature d’un accord d’alliance complet, qui encadrera le reste du travail détaillé de conception et de construction. Du point de vue du partage des gains et des pertes, les résultats dépendent du rendement de la phase d’exécution qui suit.
Outre cette structure fondamentale, les projets fondés sur le modèle de l’alliance peuvent se présenter sous différentes formes de structures de passation de marchés, que certaines alliances nomment « coût réel cible unique » ou « coût réel cible double ».
- Coût réel cible unique
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- Après plusieurs étapes de qualification d’un entrepreneur qui travaillera avec le maître d’ouvrage sur les phases de développement et d’exécution, un soumissionnaire est choisi. Les critères de sélection sont conçus de sorte à donner la priorité aux comportements avérés de collaboration et aux résultats d’une évaluation financière, c’est-à-dire des tarifs proposés, ainsi que des frais généraux et des bénéfices de l’entreprise.
- On fixe un coût réel cible unique pendant la phase de développement. Après la signature d’un accord, le projet passe directement en phase d’exécution pour réaliser le reste du projet.
- Aucun travail de conception n’est entrepris pendant la phase de sélection et appel d’offres.
- Coût réel cible double (également appelée alliance concurrentielle)
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- Deux soumissionnaires sont sélectionnés dans le cadre d’une demande de qualifications. Les exigences sont les mêmes en matière de coût réel cible unique. Ils sont tous deux invités à participer à la phase de développement.
- Le développement fait partie de la procédure d’appel d’offres, dans le cadre de laquelle on produit une estimation du coût réel cible, ainsi qu’un concept technique ou un plan général sont produits. Les deux entrepreneurs rédigent des propositions complètes, centrées sur les solutions techniques et les budgets correspondants.
- Le candidat retenu est sélectionné en fonction du travail de développement. Il est invité à terminer le cahier des charges et à s’engager dans la phase d’exécution.
- Les deux parties sont rémunérées pour le travail de conception réalisé au cours de la procédure d’appel d’offres. Les indemnités sont généralement plus élevées que celles proposées en vertu d’autres modèles.
Quelle que soit la stratégie de passation de marchés employée pour s’engager dans un contrat-alliance, les participants sont tenus d’agir de bonne foi, comme le prévoient les accords de gouvernance conjoints, pour gérer le projet collectivement.
Démarrer avec un contrat-alliance
Les modèles de collaboration pour la réalisation de projets sont encore relativement nouveaux au Canada. Il s’agit d’un territoire inconnu pour bien des maîtres d’ouvrage et participants qui sont habitués à des modèles plus transactionnels et bilatéraux. C’est pourquoi, avant de choisir pour la première fois un contrat de collaboration, de nombreuses organisations se tournent vers des partenaires chevronnés pour obtenir des conseils pratiques.
Il est important de noter que bien que le modèle de l’alliance et RPI soient parfois confondus, ils sont différents. Il est vrai que, dans les deux cas, les acteurs mettent leurs bénéfices en jeu dans l’intérêt du projet, mais les différences sont tout de même là et il faut les connaître pour déterminer le modèle qui convient le mieux à un projet donné. Ces différences peuvent faire l’objet d’une exploration avec un service-conseil adéquat et objectif.
Le plus souvent, le modèle de l’alliance convient à des projets pluriannuels plus importants et plus complexes, dotés de budgets d’un milliard de dollars. Par conséquent, il existe des structures de gestion plus étendues, stipulées contractuellement, des mécanismes supplémentaires de partage des gains et des pertes et un solide régime d’audit.
Le modèle RPI, quant à lui, permet de partager les risques et les bénéfices du point de vue du profit. Comme dans le modèle de l’alliance, il n’y a pas de responsabilité. Toutefois, le contrat RPI offre plus de souplesse pour mettre au point une pratique commune de gestion de projet, mettre en place une gouvernance et choisir des options d’audit financier en fonction de la taille et de la complexité du projet.
En tout état de cause, le choix entre le modèle d’alliance ou RPI doit se faire en fonction des besoins du projet, et non pas parce qu’un expert préfère l’un à l’autre. Certains soumissionnaires s’empressent de comparer et d’opposer avec véhémence les deux modèles dans le but de « vendre » l’un d’entre eux. Les maîtres d’ouvrage doivent en être conscients et évaluer les deux modèles objectivement. En réalité, les deux modèles peuvent constituer d’excellentes solutions de rechange aux modèles traditionnels de réalisation de projets.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les options de contrats collaboratifs, y compris le contrat-alliance, n’hésitez pas à contacter Colliers Maîtres de projets. Nous nous faisons un devoir d’offrir un soutien objectif aux maîtres d’ouvrage et nous sommes particulièrement bien placés pour le faire.