Si vous travaillez dans le secteur de la construction ou si vous suivez les événements, les bulletins d’information, les balados ou les comptes de médias sociaux du secteur, vous avez très certainement entendu parler de la réalisation de projet intégrée (RPI). Toutefois, si vous demandez aux maîtres d’ouvrage ou aux chefs de projet en quoi consiste exactement la RPI, vous obtiendrez probablement différentes réponses. Chacun y va de son opinion et de sa perception, la RPI et les principes de construction et de conception Lean sont donc devenus des concepts assez flous. Cette confusion peut souvent dissuader les maîtres d’ouvrage, les consultants et les entrepreneurs d’essayer ce nouveau modèle de collaboration.
Nous nous sommes donc entretenus avec Carla Ciepliski, ingénieure industrielle, consultante, coach en intégration et directrice nationale de notre service RPI et Lean pour dissiper la confusion entourant ce modèle de collaboration.
Q : Qu’est-ce que la réalisation de projet intégrée – ou RPI?
Carla: La RPI est un modèle de contrat en vertu duquel les risques et les bénéfices sont partagés. Il a été mis au point pour optimiser la valeur du point de vue du maître d’ouvrage, et ce, grâce à la transparence de la démarche et à une collaboration accrue entre toutes les parties prenantes. Contrairement aux contrats traditionnels, qui comprennent une série de contrats bilatéraux, la RPI est un contrat relationnel unique en vertu duquel tous les signataires travaillent ensemble. Ils mettent leurs bénéfices « à risque », renoncent à leurs responsabilités les uns par rapport aux autres et s’engagent dans une approche de gestion de projet rigoureuse, commune et axée sur l’atténuation des risques.
Q : Qu’est-ce que la conception et la construction Lean?
Carla: Dans le secteur de la construction, le modèle Lean est victime de nombreuses idées fausses. Le terme « Lean » a été créé dans le contexte d’une étude de Toyota. Il s’agissait d’un système de production et d’entreprise dans les années 1980. Les principes Lean ont fait leur chemin dans l’industrie de la conception et de la construction par le biais de l’International Group for Lean Construction (IGLC), fondé en 1993. L’IGLC a fait évoluer l’approche Lean vers une méthode de réalisation de projets et un système d’exploitation axés sur l’optimisation de la valeur définie par le client ou l’utilisateur final. Lorsque le Lean Construction Institute (LCI) a été créé en 1997, aux États-Unis, le modèle Lean a été perfectionné et ses atouts ont été transposés à des applications et des procédés qui fonctionnent dans le respect des contraintes imposées par un calendrier et un budget.
L’approche Lean peut aussi être appliquée à d’autres industries et secteurs. Par exemple, prenons l’utilisation de la conception Lean dans le secteur de la santé. Au départ, les patients, les infirmières, les médecins et les administrateurs qui utilisent l’espace quotidiennement définiront la valeur du projet selon une perspective propre à chacun. La valeur comporte donc de multiples facettes – les résultats pour les patients, l’efficacité du personnel, la sécurité, les temps de réponse et d’autres caractéristiques définissant le projet.
De même, les équipes de conception et de construction s’attacheront à fournir des propositions de valeur telles que la durabilité à long terme et d’autres objectifs pour les parties prenantes et les utilisateurs de ces installations. Les pratiques Lean permettent de définir ces valeurs de manière approfondie et de les intégrer au processus de réalisation de projet. L’étape suivante consiste à supprimer les activités qui n’apportent aucune valeur ajoutée, comme les travaux de reprise, que l’on qualifie de « gaspillage ». Notre industrie a toujours toléré le gaspillage, car elle jugeait qu’il faisait partie intégrante de la conduite des affaires. Elle a lutté pour trouver une intégration profonde de la valeur au profit de compromis sur le champ d’application. C’est pourquoi il est si important d’appliquer la méthode Lean au moment de définir et de concevoir le projet.
Nous savons que les projets Lean à forte intensité ont trois fois plus de chances d’être terminés avant l’échéance fixée et deux fois plus de chances d’être terminés en deçà du budget. Les projets reposant sur un système d’exploitation Lean total améliorent donc la valeur pour les maîtres d’ouvrage, en plus d’être plus productifs, efficaces et efficients.
Quel est le lien entre la conception et la construction Lean et la RPI?
Carla: Pour répondre correctement à cette question, il faut revenir un peu en arrière. Le premier formulaire d’accord intégré (IFOA), que nous appelons aujourd’hui RPI, a été élaboré en 2004 pour concrétiser les avantages de la réalisation de projets Lean. Cet accord a été créé par des représentants du LCI, qui ont conclu que les pratiques actuelles (ou modèles de livraison traditionnels) rendaient la mise en œuvre du Lean plus difficile. Maintenant, la RPI est tout simplement un terme servant à désigner une méthode de livraison de projet. Mais c’est trompeur. De manière générale, la RPI fonctionne comme une sorte de carrefour d’échange permettant de créer un environnement de travail propice aux projets Lean et au rayonnement de leurs performances.
Le modèle intégré de réalisation de projet Lean consistera toujours à faire tomber les barrières entre les parties, et ce, dans tous les aspects de l’exécution, ainsi qu’à réaligner les motivations personnelles et à décourager les comportements antagonistes. La pensée, les principes et les pratiques Lean peuvent être mis en œuvre quel que soit le type de contrat; toutefois, c’est le contrat qui en limitera l’efficacité. Nous disons souvent que le contrat RPI prépare le terrain pour une culture relationnelle positive, mais c’est le système d’exploitation Lean qui permet effectivement au maître d’ouvrage, aux concepteurs, aux consultants et aux équipes de construction (y compris les entrepreneurs généraux et les corps de métier) d’optimiser leurs rôles, de travailler en collaboration et d’être productifs, mais toujours en privilégiant les intérêts du projet.
Q : Comment structure-t-on un projet RPI?
Carla: Un projet RPI n’a pas le même cycle de vie ni les mêmes phases qu’un projet réalisé selon les méthodes traditionnelles. Après avoir sélectionné la meilleure équipe (en se basant davantage sur les qualifications et les capacités de l’équipe que sur le prix), les parties au contrat RPI s’engagent dans une phase de validation. Il s’agit de la phase la plus particulière de la RPI. Tous les membres de l’équipe y participent et valident ensemble. On confirme ainsi que l’on peut construire ce qui est prévu dans les limites du budget maximum autorisé, selon les délais impartis et en respectant d’autres contraintes.
La validation se fait collectivement. Elle n’est pas effectuée séparément par chaque discipline ou équipe. Il s’agit d’une démarche novatrice qui permet de s’assurer que toutes les parties s’entendent sur les hypothèses clés et les principales idées du projet, et qui est soutenue par une modélisation des coûts et un travail d’atténuation des risques – tout cela est réalisé avant la fin de la conception.
Grâce à ce processus de validation, les équipes de RPI s’engagent à suivre un programme de base qui peut être réalisé pour le coût cible de base, et à se conformer à la structure de gouvernance établie.
Une fois que le maître d’ouvrage a validé le tout (il donne le feu vert ou pas), l’équipe RPI procède à la gestion conjointe du projet. Elle travaille avec souplesse à la conception et à la construction détaillées afin de réaliser le programme de base tout en maintenant le coût cible de base. Le tout est fait en toute transparence, selon une tarification ouverte, en vertu de laquelle les coûts directs remboursables sont gérés séparément des paiements de bénéfices de l’équipe RPI, qui sont administrés collectivement par l’équipe RPI. Grâce à ce système de validation, on élimine tous les ordres de modification conventionnels. On peut ainsi améliorer sans cesse l’ensemble de la stratégie de mise en œuvre, mais aussi trouver de nouvelles possibilités d’économies, notamment grâce à l’innovation et à des stratégies d’exécution permettant de respecter ou de dépasser le budget, le calendrier et les autres attentes du projet. En vertu de ce modèle, l’ensemble de l’équipe RPI, y compris le maître d’ouvrage, partage les risques et les récompenses.
Q : En quoi les équipes RPI se comportent-elles différemment des équipes travaillant selon des méthodes de livraison plus traditionnelles?
Carla: Étant donné le degré de transparence et de respect qui sont au cœur de tous les aspects du fonctionnement de l’équipe RPI, cette dernière inspire confiance. Le projet n’est pas géré en silo, mais en collaboration. Tout le monde est motivé par une répartition collective des bénéfices et un même désir de réussir le projet. Cela exige un changement de mentalité, une ouverture au partage et une volonté d’essayer de nouvelles approches – et c’est souvent là que les systèmes d’exploitation Lean entrent en jeu. Les pratiques Lean sont un élément essentiel pour s’éloigner des approches traditionnelles de conception et de construction.
Les pratiques ou systèmes d’exploitation Lean créent intentionnellement une culture positive mettant le projet au centre de l’attention. La coordination de la conception est plus fluide, les transferts sur le chantier sont améliorés et les reprises de travaux (ou le gaspillage) sont moins nombreuses, et ce, pendant toute la durée du projet.
Les équipes RPI font preuve de souplesse, d’adaptation et se concentrent sur ce qui est à l’avantage du projet, car elles sont soudées par l’idée de gagner (ou de perdre) ensemble.
L’expérience nous a montré que le contrat à lui seul (y compris le partage des bénéfices) ne suffit pas à convaincre les maîtres d’ouvrage, les consultants et les équipes de construction d’adopter les pratiques de collaboration qui s’imposent. C’est pourquoi, pour soutenir la RPI, il faut recourir massivement aux principes et pratiques Lean. Cet ensemble complet de Lean et de RPI a pour effet d’inciter toutes les équipes, dans les trois domaines de l’exécution de projet (système d’exploitation, modalités commerciales et gestion d’équipe), à collaborer pour réaliser le meilleur projet possible en fonction de leur capacité à concrétiser la proposition de valeur des parties prenantes.
Q : Quels sont les avantages et les inconvénients de la RPI?
Carla: La RPI présente plusieurs avantages. Parmi les plus importants, signalons le fait que le budget et le calendrier sont très fiables une fois l’étape de la validation franchie. De plus, on peut optimiser l’intégration au projet d’une valeur profonde, définie par l’utilisateur. Les équipes RPI désirent collaborer grâce au partage des bénéfices et à la gestion conjointe des risques et des contrôles du projet, ce qui commence dès le premier jour. Cela signifie que les équipes RPI peuvent gérer les difficultés qui surgissent dans le cadre du projet (tels que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et de la main-d’œuvre), et compenser leurs effets grâce à des résultats inégalés par tout autre modèle de livraison. Une approche conjointe de la gestion de projet s’accompagne également d’une transparence et d’une clarté accrues pour l’équipe (y compris le maître d’ouvrage), ce qui signifie que chacun est plus conscient de ce qui se passe et de ce à quoi il peut s’attendre pendant chaque étape des travaux. De cette façon, il est inutile d’accumuler les niveaux de gestion, car ils n’apportent aucune valeur ajoutée au projet. En outre, l’environnement d’équipe de la RPI favorise des solutions plus créatives, novatrices et durables.
Pour ce qui est des inconvénients, la majorité des limitations de la RPI s’expliquent par une méconnaissance du contrat et des systèmes d’exploitation Lean appropriés, ainsi que du temps que toutes les parties (le maître d’ouvrage et les intervenants concernés) doivent investir dans le projet au départ. La réussite d’un projet de RPI repose également en grande partie sur le choix de l’équipe. Ce doit être la meilleure, sélectionnée selon une procédure d’achat ciblée. De plus, cette équipe doit aussi recevoir des conseils pertinents tout au long des phases suivantes du projet. Il a été prouvé que les équipes qui n’ont pas les bases, la formation et l’expérience voulues livrent des projets qui ne répondent probablement pas aux attentes du maître d’ouvrage.
Communiquez avec notre équipe RPI
Philippe Chiasson, ing., P.Eng, MBA, PMP
Gestionnaire principal de projets RPI
L’introduction à la réalisation de projet intégrée [en anglais seulement] préparée par le Lean Construction Institute représente une ressource intéressante pour mieux comprendre la RPI et le modèle Lean.